Cette opération est assez inédite dans son genre car cela faisait des années que le bord de l’eau n’avait pas été ainsi privilégié par les opérateurs immobiliers. Le site de Cormeilles en Parisis est idéal : un terrain industriel sur lequel s’élevait une ancienne cimenterie qui a connu son heure de gloire. Il y a 50 ans, 4000 personnes y travaillaient. Progressivement l’activité s’est réduite pour ne plus mobiliser qu’une trentaine de personnes. La vente de ces 20 hectares était inéluctable. Il a fallu dépolluer massivement mais l’endroit est une pépite. Sa grande force : la présence de la Seine. Un port de plaisance va donc voir le jour et un quartier sera élaboré autour de ce port. La première pierre a été posée le 12 mars dernier.
Xavier Bohl architecte urbanisme installé à Grimaud dans le Var est celui à qui Seine Parisii a été confié. Il n’en est pas à son premier projet lacustre. C’est même l’une de ses marques de fabrique.
« Ce que j’ai constaté depuis 30 ans c’est l’importance de la notion de paysage. A Port Grimaud l’une des motivations principales pour les résidents était d’avoir un œil sur leur bateau mais ce ne sont tous des marins. Au final ce qui est central c’est le paysage et la vue sur l’eau.
Et disons-le sans détour, un paysage avec vue sur l’eau se vend au moins 30 à 40% plus cher. ». L’argument fait mouche.
Maurice Culot architecte urbaniste également impliqué dans le projet à travers un bâtiment souligne le regain d’intérêt pour les fleuves. « Historiquement c’étaient des endroits où on ne s’installait pas en raison des craintes d’inondations, ou encore des moustiques et du manque de confort.
A la fin du 19ème siècle la Seine est redécouverte par les peintres impressionnistes. Le fleuve rentre dans l’histoire de l’art. »
Avec l’extension industrielle les bords de Seine vont être conquis par l’industrie.
Puis après la seconde guerre mondiale, les industries vont progressivement disparaitre ou s’installer à l’étranger. Le tout automobile est remis en question. Le Bord de Seine revient d’actualité.
Les lieux sont aussi très particuliers « Sur les bords de la Seine on ne peut pas trop s’avancer car c’est un fleuve navigable. Donc on va plutôt creuser des cités lacustres à l’intérieur des terres. « Nous avons dû nous confronter aux côteaux et à un espace différent » souligne avec humour Xavier Bohl.

Pour Yann Aubry s’appuyer sur ces savoirs faire est essentiel « Attention au jeu de l’apprenti sorcier. On ne fait pas cela n’importe comment. Cela nécessite des expertises.» La cité lacustre doit aussi être une ville qui respecte l’environnement et génère l’envie. C’est aussi ce qui motive ce projet Seine-Parisii. Il n’est pas seulement question d’eau mais de confort de vie. Pour Sybil Cosnard présidente de City Linked qui étudie de près la ville, la notion d’usage est centrale.
« Nous avons publié un livre blanc pour la prise en compte de tous les publics dans les conceptions des projets d’aménagement. Le constat que l’on fait est que les élus veulent une ville pour tous mais parfois il ne se passe pas grand-chose.
Ce n’est pas le cas à Cormeilles-en-Parisis comme le souligne Yann Aubry «Yann Boëdec, le maire de Cormeilles-en-Parisis a tout de suite été séduit. » Peut-être ses origines bretonnes et le souvenir des embruns du port de Concarno. « On a aussi convaincu la région via une SEM de se porter acquéreur du port. Une garantie supplémentaire a été apportée avec le groupe Fayolle qui exploite les ports et notamment le port de l’arsenal.»
Xavier Bohl se félicite aussi que son architecture soit saluée par les élus et les habitants. « Notre philosophie de l’architecture est classique et très inspirée du lieu. C’est ce style qui va durer. Pourquoi arriver avec une architecture d’extraterrestres. »

Par ailleurs pour Sybil Cosnard une autre approche de la ville est nécessaire. Il faut expliquer en quoi tous les publics n’ont pas un accès idéal à la ville. Exemples : les enfants, les personnes en situation de handicap ou les seniors. 80% des handicaps sont invisibles comme les déficiences auditives ou visuelles. Par ailleurs plus d’un quart de la population sera âgée au moins de 65 ans en 2040.
La clé de la réussite : « Plus on peut mobiliser en amont plus cela sera efficace. »
« Il serait bien d’avoir des profils plus divers dans le monde du bâtiment et de l’architecture pour appréhender ces enjeux.
Il faut une approche par les usages, la mixité, la biodiversité et l’accessibilité auquel répond ce projet. »
Dans ce projet de Seine Parisii, les réunions publiques ont été privilégiées. Une quarantaine au total. Et l’accueil a été enthousiaste. « on ne peut plus concevoir la ville sans dialoguer avec les habitants » estime Yann Aubry.
Il faut dire que rien n’a été laissé au hasard. En chiffres, Seine Parisii ce sont 1200 logements (840 en accession, 360 logements sociaux) , un port de plaisance de 110 anneaux, une véloroute le long des quais de Seine, des commerces de proximité et des restaurants (3000m²) , un groupe scolaire et une crèche.
Pour Maurice Culot il y aura un développement à la place de friches industrielles.
« Vivre au bord de l’eau c’est un plaisir visuel. Pour les gens qui aiment faire du bateau c’est une occasion unique de vivre à côté de son embarcation. L’évolution climatique va créer un réseau de marinas. Ce projet en appellera d’autres.
Et Xavier Bohl d’ajouter « Des villes qui ont été coupées de leur façade maritime vont trouver une deuxième vie.
Tout le monde se précipite pour habiter sur le littoral. Et dans tous les cas le bord de l’eau séduira de plus en plus» Il ne faut pas oublier non plus les défis à venir. Selon Sybil Cosnard, le moment est opportun pour mettre en lumière les démarches inclusives et prendre un temps de recul afin de mieux réfléchir les projets de demain et de créer de véritables conditions d’hospitalité et d’habitabilité.
Cette opération de 91 000 m² sur près de 12,5 hectares de terrain doit voir le jour à l’été 2024.
Cet article a été rédigé par Nathalie Croisé, Journaliste spécialiste des enjeux de la transition écologique.