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Densité Urbaine, interview croisée Tania Concko et Arnaud Bekaert

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Densité Urbaine
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Qu’il s’agisse de freiner l’étalement urbain, d’endiguer l’artificialisation des sols, ou encore de favoriser la mixité… un seul mot d’ordre, densifier. Pourtant, la densification présente de nombreux écueils : des nuisances sonores à la pollution en passant par le sentiment général d’étouffer en ville. Elle est même accusée de contribuer à la circulation du virus à l’heure actuelle. Tania Concko est architecte et urbaniste, à la tête de l’agence TCAU basée à Amsterdam, et Arnaud Bekaert est Directeur général Promotion Ile de France, UrbanEra et Filiales de Bouygues Immobilier. A travers leur réflexion croisée sur la densité urbaine se dessinent des pistes de réflexion pour une ville dans laquelle chacun aspire à vivre.

Est-il concevable d’envisager de densifier nos villes à l’heure de la distanciation physique exigée par la crise sanitaire ?

A.B. : Densité et distanciation physique (et non sociale !) ne sont pas inconciliables. La densité est mise à mal quand des concentrations de lieux de destination - qui sont malheureusement fermés actuellement  (restaurants, bars, lieux artistiques) - poussent des populations à se déplacer toutes aux mêmes endroits en même temps. Le modèle de densité que nous souhaitons pousser vise à multiplier les polarités. Les êtres humains ont besoin de se rassembler, mais plutôt que de mettre 10 000 personnes à un endroit simultanément, mieux vaut en mettre 500 dans une zone délimitée. Nos quartiers permettent une densité critique, qui propose un développement commercial et d’activités suffisant pour éviter aux gens de se déplacer. Cette densité raisonnée est un modèle à suivre.

T.C. : Ce n’est pas la première épreuve que les villes traversent, elles qui se sont façonnées avec la Peste Noire au Moyen-Âge ou le choléra au XIXème siècle. La crise Covid rend la ville indéniablement plus hygiéniste et aura  des incidences sur la forme urbaine, mais il ne faut pas négliger la capacité des villes à se transformer. Il ne s’agit pas de balayer le modèle de ville dans lequel nous vivons actuellement, il s’agit de regarder comment donner une inflexion à son développement. Ce n’est donc pas la densité qu’il faut remettre en cause : la ville dense est une réponse à des pénuries de logement présentes dans beaucoup de villes, ainsi qu’un gage d’efficience énergétique. La vraie question est celle des lieux de densification, bien différenciés qu’il s’agisse de zones d’infrastructures aux abords des villes ou de quartiers déjà constitués.

 

Au cœur de ces nouvelles polarités, comment créer du lien et de la proximité pour faire des villes des terreaux de relations ?

T.C. : J’aime l’idée de multipolarités, qui rejoint ce que j’appelle “l’urbanisme d’acupuncture”. Il s’agit d’identifier des points cruciaux où les activités peuvent s’accrocher et s’intensifier. Le lien entre les polarités se fait naturellement à l’image des méridiens dans le corps, par la complémentarité des programmations et des intensités. Sur le quartier des Terres Neuves à Bègles, nous avons opéré une densification, dans un ancien quartier des années 1960 exclusivement dédié au logement, en limite de Bordeaux. La municipalité de Bègles s’est  battue pour que le tramway traverse le quartier, le transport étant crucial pour favoriser le lien. Cette ancienne Cité a été métamorphosée en quartier mixte du point de vue des populations comme de la programmation, notamment sur l’ensemble des rez-de-chaussées. Comment aménager ces lieux, qu’est-ce qui fait que les bordelais vont venir jusqu’ici, de l’autre côté des Boulevards, qu’est-ce qui crée des échanges entre les habitants ? La programmation est la clé de voûte du lien social, à petite et grande échelle.

A.B. : Les grandes polarités sont une mauvaise utilisation de la ville, à l’image des downtowns américains où passé 18h, il n’y a plus personne. En Europe, de nombreux espaces ne sont pas utilisés pendant plus de 50% de leur temps. Une meilleure utilisation des espaces est un élément primordial dans la façon de repenser la ville, dans une optique de frugalité. Une école est un bon exemple : une fois que les élèves sont partis, il y a très peu d’activités qui s’y produisent. C’est pourtant une infrastructure phénoménale pour accueillir des activités sociales. Nous ne pouvons pas tout avoir partout, il y a des zones qui vont naturellement, sous notre impulsion, devoir se relier entre elles. Les chocs de concentration sont de toute façon oppressants, indépendamment de la crise sanitaire. Il est assez rare d’avoir envie de faire la queue, d’être bousculé, d’entendre du bruit, de respirer des gaz d’échappement.

 

Perméabilité, métamorphose… la ville semble comparée à un organisme vivant, sans cesse en mouvement, en train de s’adapter. Comment concilier une programmation qui fige nécessairement des usages sur le moyen terme avec l’émergence d’usages spontanés ? Par exemple, comment intégrer le télétravail dans la programmation, pour éviter que les habitants se retrouvent enfermés dans des logements trop petits ?

T.C. : Il semblerait qu’avec cette crise, nous découvrons que les logements sont trop petits… Mais dès 2009, la Housing Platform du Pavillon de l’Arsenal posait la question suivante : pourquoi le logement en France est-il 20% plus petit, coûte-t-il plus cher et est-il souvent moins bien construit que le logement européen ? Pouvoir ouvrir des espaces trop petits, les agrandir au gré des besoins de nos vies familiales, offrir des parcours à l’intérieur des logements, avoir des circulations plus fluides… tout cela offre de nouveaux possibles. Un T3 censé accueillir un couple avec un ou deux enfants fait 60 mètres carrés en France et plus de 75 mètres carrés ailleurs. Il y a près de 4 millions de personnes en France qui vivent dans des logements surpeuplés, où la moyenne par personne oscille entre 3 et 5 mètres carrés. Le confinement a rendu les choses encore plus inacceptables. Aux Pays-Bas, face à la pénurie de logements dans les années 1990, l’Etat a mis en place le Plan Vinex pour la construction d’un million de logements dans le Randstadt (ndlr. regroupement d’Amsterdam, Utrecht, Rotterdam et La Haye). Quinze ans après, ce but était atteint. La nécessité de construire énormément de logements a conduit à explorer de nouvelles typologies, des coûts de construction imbattables, des systèmes constructifs en  préfabrication  qui n’empêchent en rien la qualité, la lumière et les volumes.

A.B. : Aujourd’hui, il y a beaucoup d’espaces perdus dans nos logements et ce ne sont pas forcément les circulations qui posent problème. En Suisse, il n’y a pas de buanderie individuelle, cet espace est mutualisé en sous-sol, c’est un espace utilisé seulement deux heures par jour maximum. Il faut opérer ce changement de mentalité vers un usage communautaire des espaces, ce n’est pas une évolution dégradante. La mutualisation de ces espaces permet de repenser nos logements et de ce fait d’offrir à l’acquéreur la même surface mais avec plus d’usage pour le même prix. L’évolution des mentalités s’amorce en privilégiant l’usage à la possession.

 

Dans la fabrique de la ville, chacun semble se renvoyer la balle : “il faut que les mentalités des habitants évoluent”, “il faut  éclairer les politiques”, “les promoteurs doivent arrêter de rogner sur les coûts”, “les architectes doivent être plus ambitieux”... 17% des parisiens ont fui Paris lors du premier confinement, témoignant d’un désamour des grandes villes. Quels leviers peuvent redorer l’image des métropoles et éviter un exode urbain ?

A.B.: Certes, beaucoup d’habitants ont quitté Paris mais la population d’Ile de France a crû. L’attractivité des villes liée à une activité culturelle, à des lieux de sorties et de rassemblement a disparu momentanément donc les gens n’y voient plus d’intérêt. Comment rendre désirable la ville ? En apportant une ville apaisée, en combattant les nuisances : bruit, pollution, surpopulation. Nous sommes des facilitateurs, le terreau qui permet les activités, mais nous ne contrôlons rien, les habitants sont maîtres de leurs usages. Nous semons des graines au bon endroit pour que tout ceci soit faisable, sans contraindre. Dans une logique d’écoute et de concertation, nous pouvons rendre la ville vivable.

T.C.: Ce désamour de 17% de la population parisienne permet de créer des rééquilibrages. Paris est une ville qui est essentiellement réservée à certains profils sociaux : célibataires, couples sans enfants, avec de hauts revenus. Les familles de classe moyenne avec enfants sont  obligées de quitter la ville. Pour redonner de l'attractivité, il faut réfléchir à la ville avec des vrais contrepoints paysagers, sur un équilibre vide / plein à 50%, avec de vrais espaces naturels qui protègent des nuisances. Nous venons de livrer une opération sur Paris 13ème avec un programme très mixte : logements, foyers de travailleurs migrants, commerces, crèche… le tout sur un îlot très dense de 50 mètres de haut. Nous avons travaillé sur des hauteurs différentes, restitué des sols, créé des jardins suspendus au 5ème, 9ème, 13ème étage, avec de la pleine terre et de vrais espaces paysagers. Ces logements permettent des vues lointaines, au-delà du périphérique.

 

Au-delà de la nature en ville, tout un courant philosophique nous interpelle sur notre relation au vivant. L’enjeu concerne évidemment la relation entre citadins mais également la relation avec le sol, le ciel, les végétaux et les animaux qui cohabitent sur le territoire. Quelle est votre proposition ambitieuse pour renouer avec le vivant en ville ?

A.B.: Pendant le confinement, la nature a repris ses droits car il y a moins d’agression de la ville générée par l’être humain (cf. wallabies à Adelaïde, les insectes et les oiseaux à Paris…). Ce sont des signes réconfortants : malgré les méfaits réalisés pendant des années, la nature revient assez rapidement. Nous n’avons pas besoin de plus d’espaces mais de l’utiliser autrement : des jardins partagés avec une végétation bien pensée, des mini forêts qui croissent à une vitesse conséquente et qui redonnent de la respiration à la ville, entre un parking et la route. Ce sont des projets de petite dimension qui ne sont pas secondaires pour autant. Cette proximité au vivant est générative de valeur pour un promoteur : aujourd’hui, ne pas construire un espace n’est pas forcément destructeur de valeur. L’ensemble du bâti prend de la valeur d’usage et économique grâce à l’apaisement généré.

T.C.: En parallèle des nouveaux quartiers, se pose la question des quartiers préexistants, déjà denses. Il faut se saisir de toutes les opportunités pour faire venir la nature en récupérant les toitures, en habitant les terrasses et en créant des jardins porteurs de biodiversité. Il faut enclencher une sorte de recensement des potentiels pour en faire des trésors, dans des espaces parfois interstitiels. Par exemple, à Amsterdam, chacun peut sortir son barbecue, trois chaises et profiter de l’espace public. Les riverains arrosent les plantes dans la rue et ces espaces deviennent des rues-jardins, de vrais petits bijoux de nature. Dans  certains espaces publics de quartiers, planter ne devrait pas être perçu comme une invasion mais comme un acte civique.

 

Le terme de densité revêt une dimension assez froide tandis que la notion de vivre-ensemble est un peu galvaudée : quels imaginaires, quels mots, quelles pratiques réinvestir pour susciter de l’envie autour du modèle urbain ?

A.B: Le vivre-ensemble prend complètement sa place aujourd’hui. Nous avons absolument besoin de nous retrouver, mais pas dans le centre commercial qui pousse à s’agglutiner pour des fonctions extrêmement égoïstes. C’est une aspiration générale, saine. Dans son projet de réenchantement des Champs Elysées, Philippe Chiambaretta explique que la partie basse de l’avenue comprend 15 hectares, soit deux fois plus que le Parc Monceau. Et pourtant cet espace est à peine fréquenté alors même qu’il pourrait devenir un espace d’échanges de communautés. Il faut savoir réutiliser les espaces.

T.C.: Même si l'expression vivre-ensemble est un peu galvaudée, le vrai sens du mot ne l’est pas. Les voisins se reparlent, cette attention à l’autre qui était perdue revient en force. Face à l’urgence, il est important de retrouver des équilibres. Il est possible de créer une vraie qualité de vie urbaine , de redonner envie d’habiter en ville, y compris dans les lieux en périphérie. Simplement, il faut arriver à porter dans nos villes, la multiplicité et  complémentarité de ces qualités, nécessaires pour rétablir ces équilibres. Cela passe bien sûr par davantage d’espaces naturels dans la ville partout où c’est possible mais aussi,  par les qualités données  à l'espace privé (dimension, évolutivité, partage d’espace commun avec ses voisins) pour aimer le logement collectif... Je ne trouve pas de meilleur mot que l’équilibre comme ligne de mire.

 

 

Pour aller plus loin :

  • L’étude menée par Bouygues Immobilier sur la densité en partenariat avec La Gazette des Communes.

Le projet  B1A4 / ZAC Bruneseau - PARIS 13 , de Tania Concko : Mixed-use Buildings | Gallery_Categories | tania concko architects urbanists

Bouygues Immobilier

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